Interviews
Une twittclasse au primaire ?
A l'heure où certains ne jurent que par une "école numérique" comme facteur de motivation et de réussite pour les jeunes générations, les Clefs de l'Ecole ont eu la chance de rencontrer Ostiane Mathon, qui figure, aux côtés d'autres collègues pionniers, parmi les précurseurs de la twittclasse au primaire !
L'école doit-elle être un sanctuaire et se préserver à tout prix de la déferlante des nouvelles technologies ? Doit-elle au contraire vivre avec son temps et faire la place belle au numérique pour aider les jeunes à donner du sens à leurs apprentissages ?
Les prises de position divergent et les passions s'emportent souvent sur la question.
Pour nous faire un avis, nous avons demandé à Ostiane Mathon de partager avec nous le bilan de la twittclasse qu'elle a proposée dès 2012 à ses élèves de CM1 !
Vous avez été parmi les premiers enseignants à créer une « twittclasse » au primaire. Qu’est-ce que cela apporte aux enfants ? Et à leurs enseignants ?
Twitter n’a pas été pensé à l’origine comme un outil éducatif et pédagogique et c’est justement ce caractère hors-scolaire qui en fait un média particulièrement intéressant.
L’enseignant doit en détourner les usages quotidiens, y réinventer des activités d’apprentissages collaboratifs et interactifs au service des apprentissages fondamentaux. Sa créativité professionnelle est fortement sollicitée et cette dynamique nouvelle influe, comme en écho immédiat, sur la motivation des élèves.
Un professeur qui apprend et invente avec et pour ses élèves crée un climat de classe très particulier, proche de la ruche.
Chaque jour se vit alors comme une sorte d’escape game dont on ne sort qu’après avoir résolu énigmes et défis.
Tout être humain a besoin de trouver du sens à ce qu’il fait pour s’engager dans ce qu’il fait. Le sens, la motivation, la convivialité et la créativité sont les nutriments essentiels au développement personnel, professionnel et j’ajouterai au développement collectif !
En quoi le twitt est-il au service des apprentissages scolaires ?
Le support change du papier. Le format court et synthétique (140 signes), la connexion en direct et avec le monde entier sont autant de nouveautés qui donnent du sens à l’activité d’écriture et de communication.
Rédiger des twitts dans toutes les disciplines, c’est aussi l’occasion de mettre en évidence que l’apprentissage de la langue française est une compétence par nature transversale.
Que pensez-vous du tout numérique à l’école ?
Sans en faire un totem idéologique, l’innovation est indispensable pour ne jamais cesser d’apprendre et de réapprendre notre métier d’enseignant.
Les élèves d’aujourd’hui baignent dans la culture numérique ; le numérique transforme radicalement notre relation à la connaissance et à l’apprentissage.
Il appartient donc à l’école d’évoluer pour se hisser à la hauteur des nouveaux enjeux d’aujourd’hui et de demain. Elle doit le faire sans pour autant renier son indispensable rôle de transmission de la tradition et du passé.
Mais l’innovation seule n’a pas de sens. Elle n’en a que si elle est pédagogique.
Ce qui permet aux élèves de mieux apprendre, c’est la diversité des approches, des supports, des contenus, des projets, etc.
Il serait ridicule et même irresponsable de passer du tout papier au tout écran pour la seule raison que c’est au goût du jour. Certes, nous n’écrivons plus sur du parchemin et s’il faut tenir compte du progrès, il faut également tenir compte des âges d’évolution des enfants.
Quel exemple concret pourriez-vous nous donner ?
Prenons l'exemple du geste d'écriture manuscrite pour illustrer cette nécessaire vigilance. Il demeure indispensable pour l’acquisition de la lecture car il met en jeu certaines zones du cerveau qui favorisent le développement de circuits neuronaux propices à ces apprentissages spécifiques.
Apprendre à lire et écrire dans le plus jeune âge passe donc par l’acte calligraphique.
En revanche cette activité indispensable gagnera en sens et en puissance si on l’enrichit d’autres activités d’écriture, numériques et collaboratives.
Dans une classe aujourd’hui se côtoient tableau noir, cahiers à lignes, livres d’images, tablettes tactiles et écran mural.
Reste bien évidemment que le cœur de la question demeure :
- pour quel acte pédagogique ?
- pour quel projet personnel de l’élève?
- pour quel bien commun ?
Et si demain je n’avais rien de tout cela, quelle substantifique moelle me resterait-il ? C’est bien à cette question centrale qu’il ne faut jamais cesser de répondre.
Aujourd’hui le numérique, mais et demain ?
Et ce demain arrivant de plus en vite, c’est donc à cette agilité d’esprit qu’il faut former nos jeunes élèves, et nos jeunes professeurs.
En cliquant sur ce lien, retrouvez un autre témoignage d'Ostiane sur sa twittclasse.
Et suivez-la sur son compte !
Retrouvez de nombreux conseils dans l’ouvrage co-écrit par Ostiane Mathon sur la pédagogie de l’encouragement : Je crois en toi, pourquoi et comment valoriser les enfants.
Ouvrage collectif, avec Marie Basque, Karine Le Goaziou et Isabelle de Lisle.
Professeur des écoles à Paris et à l’étranger, pendant plus de 25 ans, formatrice depuis 10 ans, Ostiane Mathon a fondé il y a 4 ans le @LabLearn, « un laboratoire mobile spécialisé dans la conduite du changement, la pédagogie et le design learning. »