"- Un livre peut nous changer?

-  Bien sûr, un livre peut te changer ! Et même changer ta vie. Comme un coup de 
foudre. Et on ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis. 
Mes doigts couraient sur les rayonnages, caressaient les couvertures, leur texture si différente les unes des autres. J'énonçais en silence les titres que je lisais. Mme Economopoulos m’observait sans rien dire, mais alors que je m’attardais particulièrement sur un livre, intrigué par le titre, elle m’a encouragé.

- Prends-le, je suis sûre qu’il te plaira. »

Dans les bibliothèques, entre La place, Passion Simple, Regarde les lumières mon amour et Madame Bovary, L'éducation sentimentale et Salammbô, nos doigts croisent désormais Petit Pays. Et dans la littérature française, entre Annie Ernaux et Gustave Flaubert, il y a donc Gaël Faye.

Gaël Faye, un auteur au sens moderne du mot, dont les textes traversent les continents, de l'Afrique à l'Europe et touche toutes les générations : des boomers dont il chante si bien le désenchantement, à la jeunesse dont il porte les espoirs. Ses chansons sont aussi poétiques qu'engagées et son premier roman, largement inspiré de son enfance au Burundi, vient raconter le dernier génocide du XXéme siècle, celui qui a eu lieu au Rwanda et pendant lequel les Hutus massacrèrent les Tutsis.

Le sujet est grave, et certains passages sont difficiles, mais comment pouvait-il en être autrement ? Difficiles, mais vu à travers les yeux d'un enfant, Gabriel, il y a donc aussi de la spontanéité, autant que de la poésie, dans leur récit. Les métaphores ou comparaisons permettent de dire l'effroi sans effrayer et les jeux sur les sonorités et le rythme viennent offrir au lecteur un soutien précieux.

«  Dorénavant, les journées passaient plus vite à cause du couvre-feu qui obligeait chacun à être chez soi à dix-huit heures avant la tombée de la nuit. Le soir on mangeait notre potage en écoutant la radio et ses nouvelles alarmantes. Je commençais à me questionner sur les silences et les non-dits des uns, les sous-entendus et les prédictions des autres. »

Et petit à petit, le lecteur comprend ce qui se passe, pour ne plus jamais dire, je ne savais pas. Et il suit l'enfance qui s'envole avec les pages qui se tournent :

« Arrivé au niveau des soldats, l'un d' eux a fait signe à tante Eusébie de couper le moteur et lui a demandé sa carte d' identité (…) Il feuilleté le passeport avec une expression amusée. Maman n'osait pas parler. (…) C'était étrange de comprendre les allusions du militaire, la peur dans les gestes de tante Eusébie, la peur de Maman. Un mois plus tôt je n'aurai rien saisi. Des soldats hutus d'un côté, une famille tutsie de l'autre. J'étais aux premières loges de ce spectacle de la haine. »

Dès la classe de 3eme, et puis sans hésitation au lycée, voilà un petit livre jaune à mettre entre les mains de nos adolescents, pour offrir à notre jeunesse un roman bouleversant, sans être pathétique, sur notre Histoire contemporaine. Un roman sur l’enfance aussi, qu'inévitablement nous perdons, dans lequel Gaël Faye excelle en toute simplicité et donne à la littérature un pouvoir universel : le pouvoir de montrer le monde et de toucher les cœurs.

Le Goncourt des lycéens en 2016 et les manuels scolaires, comme Fleurs d'encre de chez Hachette Education ne s'y sont pas trompés et intègrent désormais Petit Pays à leurs propositions de lecture pour l'entrée du programme de 3e « Se raconter, se représenter ».

« La guerre, sans qu'on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre je n'ai pas pu. J'étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais. »

Et il y a aussi les chansons de Gaël Faye à découvrir ou à reécouter notamment Respire. Ainsi que l'adaptation cinématographique du roman à laquelle l'auteur aura participé activement, que nous pouvons trouver en deçà du pouvoir de l'écriture, mais qui a le mérite de donner à entendre le malheur auquel les enfants ne réussissent pas à échapper et à voir les lieux et les couleurs, aussi lumineuses que l'Histoire est sombre.

Et pour finir, quand vient l'Heure bleue, écoutez Laure Adler vous parler de ce roman. 

Petit Pays de Gaël Faye, Prix Goncourt des lycéens, prix du premier roman, prix des étudiants France Culture-Télérama, publié chez Grasset en 2016 puis au Livre de poche en 2017