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Interviews

Epistoire : toute une histoire

« Épistoire. » C’est sous ce drôle de mot-valise, contraction des mots « épistolaire » et « histoire », qu’un nouveau concept de lecture pour enfants a récemment vu le jour.

Le principe : 

Chaque semaine, les enfants reçoivent une enveloppe cachetée de cire, libellée à leur nom en lettres calligraphiées à la main. À l’intérieur, ils découvrent sept enveloppes (comme les sept jours de la semaine !) contenant chacune un épisode d’une grande histoire qui démarre le lundi pour s’achever le dimanche. À la fin de l’histoire, un kit de reliure leur permet de transformer ces lettres en livre.

À la façon des romans-feuilletons du XIXe siècle, chaque épisode s’achève sur une situation « en suspens » qui crée une forte attente chez les jeunes lecteurs et les laisse s’endormir la tête emplie de toutes les suites possibles. Les pouvoirs de la littérature sont infinis et en proposant aux enfants ce nouveau rituel de lecture du soir, Épistoire a non seulement créé le concept du premier « cliffhanger » de la littérature de jeunesse contemporaine, mais réussit surtout l’exploit de faire lire un livre entier aux enfants chaque semaine ! Mine de rien !

À lire seul ou à deux voix, les histoires sont classées par tranches d’âges, de 4 à 14 ans. Les intrigues sont riches et la syntaxe de qualité. Le niveau de vocabulaire est recherché mais les mots dont le sens pourrait échapper aux enfants sont toujours explicités.

Cerise sur le gâteau, c’est à la main que l’ensemble de ces lettres sont pliées, mises sous pli et timbrées par une équipe de Talents de l’Apte (association d’aide à l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées).

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Il s’agit d’un véritable succès de librairie (ou plutôt « de correspondance ») qui fait le bonheur des familles comme celui des écoles, puisque déjà de nombreux enseignants ou responsables de bibliothèques ont souscrit un abonnement Épistoire.

Les Clefs de l’École ont eu la chance de rencontrer le créateur d’Épistoire, Olivier Bruzek, ancien journaliste et rédacteur-en-chef au magazine Le Point, pour en savoir plus sur la genèse de ces lettres-histoires.

Olivier Bruzek, comment vous est venue cette idée d’histoires épistolaires ?

Je pense que l’idée d’Épistoire ne m’est pas venue. Épistoire s’est imposée à notre famille. Il n’est pas une brique de l’édifice qui ne soit venue de l’un de nous : de ma femme, de nos quatre enfants, ou de moi-même. Même nos parents y sont allés de leur petit grain de sel, c’est dire qu’il n’a laissé personne indifférent.

Tout est parti d’une facilité qui a rejoint un besoin. La facilité, c’est mon goût depuis toujours pour l’écriture. Et quand je vous dis depuis toujours, c’est véritablement depuis toujours. J’ai voulu devenir écrivain avant même de savoir écrire, à l’âge où d’autres veulent être pilote d’avion, médecin ou policier. Dès que j’ai su manier une plume, je ne vous cache pas que j’ai noirci un nombre incalculable de pages.

Le besoin, c’est celui d’épauler les enfants dans la lecture. Ce dont je vous parle, ce n’est pas de parler de méthode traditionnelle moderne, globale, syllabique, ou que sais-je. Je laisse cela aux pédagogues. Là où nous apportons notre pierre à l’édifice, c’est en surprenant les enfants.

En leur inventant et en leur envoyant des histoires en feuilleton – « en kit » m’a dit un jour l’un d’eux – nous les incitons à patienter jusqu’au lendemain pour avoir la suite. Or, rien de tel pour susciter le désir et donner envie que d’être contraint à la patience. Qui n’a pas envie de connaître là tout de suite maintenant, la suite d’une histoire où le suspens règne en maître. Personne !

Or, ce désir brûlant chez l’enfant de connaître la suite est notre cheval de Troie pour l’amener à se frotter à des intrigues et à un vocabulaire enlevé, diversifié. Bref, à l’enrichir en lui faisant prendre plaisir à lire.

Dans la presse, on vous apprend que tout moyen est bon pour être lu. Je pense que cela m’a marqué au point de devenir une déformation professionnelle.

Pourquoi avoir choisi le support papier ?

J’ai commencé au « Point » avec le magazine papier. Franz-Olivier Giesbert m’a ensuite confié le lancement de notre site internet. J’ai clairement une double expérience qui m’a amené à essayer de lancer nos histoires aussi bien en numérique qu’en papier. De fait, je n’ai pas choisi le support papier, ce sont les parents de nos lecteurs qui ont plébiscité le papier.

Le moment est bon. Les enfants ne reçoivent guère de lettres à leur nom. Le trafic postal a quelque chose de délicieusement désuet, un charme suranné, tout en ayant un petit goût d’aventure. Une lettre voyage et voit du pays. Elle est passée de mains en mains. Rien à voir avec un e-mail sécurisé clinique et froid.

Une lettre c’est comme un cadeau dont il faut déchirer l’emballage pour découvrir ce qui se cache dans ses entrailles.

 

Comment vous viennent les idées pour chaque histoire ?

Ah ! Je ne sais pas ! Tout ce que je sais, c’est que je ne manque pas d’idées. Je manque de temps pour écrire tout ce qui se passe dans ma tête. Et puis, j’ai un joker. Sur quatre enfants, deux veulent devenir écrivain. Cela crée une véritable émulation. Notre fille aînée m’a soufflé l’idée du Chatamarran et du cochon-licorne. C’est à notre cadette que je dois l’hôtel des Trois Filous. Pour le reste, le quotidien est une véritable source d’inspiration. Cela ne veut pas dire que nos textes sont en rapport avec l’actualité. Ils sont atemporels, mais ils sont dans l’air du temps.

Quels sont les grands thèmes que vous abordez ?

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Il y en a pour tous les goûts et pour tous les âges avec des grandes constantes : le bien triomphe toujours. Nous essayons de porter des valeurs positives afin que l’enfant puisse se les approprier. Par exemple avec Opus dans la tranche des 11-14 ans, on rappelle que la pugnacité et le travail sont des passeports pour la réussite et le salut. Aux enfants du primaire, nous expliquons comment le respect des règles est un gage de bien être.

Et puis, de façon générale, nous évoquons largement l’actualité, l’histoire et la géographie. Dove la Colombe nous fait découvrir les plus grandes villes d’Europe, Antonia et le Capitaine Moustache traversent les siècles, d’Artagnan version 2018 est confronté à des diamants de contrebande en provenance d’Afrique…

Combien d’histoires votre catalogue compte-t-il pour chaque tranche d’âge ?

Actuellement, notre catalogue compte environ 150 titres. Et cela augmente toujours semaine après semaine. Je n’arrête jamais d’écrire. C’est d’autant plus important que nos lecteurs se réabonnent souvent. Il leur faut toujours de la nouveauté !

Quel temps de lecture quotidienne proposez-vous ainsi aux enfants ?

Chacun de nos épisodes dure entre 5 à 6 minutes de lecture. Il s’agit là d’un temps théorique. Selon le niveau de lecture d’un enfant, ce temps quotidien peut doubler ou tripler. Nous travaillons avec un nombre croissant de dyslexiques. Avec eux, le temps de lecture s’allonge encore. Le but d’ailleurs, n’est pas de compter le temps passé à lire. Il devrait plutôt se mesurer en intensité et en petites graines de bonheur de lire qui sont semées.

Dans tous les cas, nous pensons qu’il est essentiel de lire avec régularité. L’effort continu est clé. Il permet d’avancer pas à pas et de ne pas concentrer trop d’effort en un seul instant. 

Savez-vous comment les enfants réagissent quand ils reçoivent leurs histoires ?

Ah ! Nos lettres ne laissent aucun enfant indifférent ! Vous n’imaginez pas le nombre de courriers spontanés - dont certains avec des vidéos - que nous avons reçus. Bien sûr, la magie de recevoir une lettre à son nom y est pour beaucoup. Mais ce n’est pas tout. Il y a la confrontation au suspens et à l’intrigue. L’enfant sait qu’une lettre l’attend pour le lendemain. Il est confronté à une attente inattendue.

Au début, l’excitation est à son comble. Puis peu à peu, la surprise de recevoir un courrier laisse place à ce qui ressemble à une routine mais qui est bien plus que ça : c’est un rendez-vous. C’est une surprise heureuse, comme une balise lumineuse dans le ballet des jours qui défilent.

Nul n’est obligé de lire nos lettres. Il ne s’agit pas d’un exercice obligatoire comme on le demanderait à l’école. En cela, c’est un plaisir possible qui attend l’enfant où l’évasion et la découverte auront la part belle.

Qu’est-ce que les enfants préfèrent dans votre concept ? Qu’est-ce qui les fait accrocher vraiment ?

Il y a plusieurs choses ou plutôt, différentes étapes. La première, c’est bien évidemment de recevoir du courrier à son nom. Les enfants s’évaluent constamment les uns par rapport aux autres. Or, ils comprennent instantanément que de recevoir des lettres qui se transforment en livre à leur nom est singulier pour ne pas dire une expérience unique. Ils en tirent une immense fierté.

Ensuite, lorsque l’habitude s’installe, une connivence, pour ne pas dire une complicité trouve sa place. Elle est véhiculée par l’attente de la suite. Il ne faut pas oublier que nos histoires sont avant tout des feuilletons. Chaque épisode se termine au comble du suspens et l’enfant doit attendre le lendemain pour connaître la suite. Or, tout le monde a envie de connaître la fin d’une histoire. C’est tellement naturel.

Enfin, il y a la diversité des thèmes que nous abordons. En fonction des tranches d’âge, un enfant peut voyager à Londres, Séville, Milan, Berlin, Paris, Lisbonne, au temps de la reine Victoria, de Clovis, etc. Nous avons cette obligation de le surprendre. Rater ce rendez-vous, c’est prendre le risque de ne pas l’intéresser et de faillir à notre mission : le divertir et le cultiver.

Et pour les enfants qui n’aiment pas lire, est-ce que ça marche aussi ?

Ne pas aimer lire est une conséquence. Il est essentiel de comprendre ce qui a abouti à ce terrible état de fait. Faute de se poser la question, les parents sont confrontés à des murs d’incompréhension. Ils finissent par accepter l’inacceptable : leurs enfants n’aiment pas lire. Ils se réjouissent lorsque leur progéniture ouvre une BD ou un manga ou qu’il s’applique à lire un livre imposé par l’école.

Donner le goût de la lecture fait, selon moi, partie des fondamentaux de l’éducation, au même titre qu’il est essentiel d’enseigner à nos enfants la notion de bien et de mal, l’importance de l’effort, l’autonomisation, la mise en confiance, etc.

Lire doit être à la fois un plaisir et un réflexe (de survie). Je ne connais pas meilleure détente et enrichissement que celui de la lecture. De même, je ne connais pas meilleure réponse à un problème qu’un livre. Il y a forcément un livre extraordinaire qui traite d’un sujet qui nous touche ou nous blesse Et j’ajoute : qui est beaucoup plus efficace que n’importe quel forum. Pour un spécialiste, dans une carrière, commettre un livre est un aboutissement. C’est le fruit d’une longue expérience qu’il convient de partager avec le plus grand nombre.

Épistoire est un des moyens de donner le goût de la lecture. Je me souviens d’une enquête statistique que nous avons réalisée après nos 1000 premiers abonnés. Nous avons compilé le nombre de courriers reçus et nous les avons traités. Un chiffre m’a touché : 81 personnes ont pris le temps de m’écrire pour me dire que leur enfant ou leur petit-enfant s’était mis à la lecture avec plaisir.

Bien entendu, il convient d’accepter ce chiffre avec prudence. Ce n’est pas parce qu’un enfant apprécie nos lettres qu’il va trouver durablement la voie du plaisir de lire. Mais c’est une étape. C’est une faille dans la carapace qu’il convient d’exploiter. Nous avons ainsi pu nous rendre compte que nos lettres effraient moins qu’un livre car l’enfant ne voit que les quelques pages quotidiennes à lire plutôt que les centaines qui lui font face dans un livre préalablement relié.

Il faut toujours lui demander s’il est une phrase ou un mot qui lui ont plu ! Au début, l’enfant est dérouté car il est pris de court. Mais peu à peu dans la lecture des lettres suivantes, il va être attentif et va guetter la phrase qui lui plaît. Certains vont abaisser leurs défenses et laisser place au plaisir.

Avez-vous entendu parler d’enfants qui auraient harcelé leurs parents afin d’obtenir les enveloppes des épisodes prématurément ?

Harceler ?…. Oui ! Mais pas que ! Ils les ont tarabustés, culpabilisés, poursuivis, pressés, pour ne pas dire pressurisés afin d’avoir la suite. Certains enfants savent s’y prendre pour obtenir ce qu’ils veulent. Ils connaissent une absence totale de limite pour obtenir ce qu’ils veulent.

Techniquement, vouloir connaître la suite d’un récit et ouvrir une deuxième ou une troisième enveloppe avant l’heure peut sembler anodin. Mais il faut voir cela comme une posologie médicamenteuse. On ne prend pas trois jours de pharmacopée en une fois avec l’espoir que le mal parte plus vite. Cela ne se passe pas comme cela. À chaque jour suffit sa peine. L’impatience que nous suscitons est positive. Elle est un cheval de Troie nécessaire pour que l’enfant entre de plain-pied dans le récit le jour suivant et qu’il doive une nouvelle fois attendre la suite le jour d’après.

Pour vous faire sourire, j’ai connu des parents qui étaient aussi impatients que leurs enfants de lire la suite…

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