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Collège

En France les lumières ne s'éteindront pas

Vendredi 16 octobre 2020, Samuel Paty, père de famille et professeur au collège du Bois d'Aulne dans les Yvelines, âgé de 47 ans, a été décapité. 

Nul n'est besoin ici de réaffirmer que la mort de Samuel Paty est absurde, atroce ou injustifiée.

Nul n'est besoin non plus de rappeler qu'on ne tue pas son prochain. 

Reprenant ici les mots du Président Macron au moment de l'hommage à Samuel Paty, nous vous proposons des textes et donc des lectures pour réfléchir ensemble et pour se rappeler que la lutte contre l'Infâme, c'est-à-dire l'obscurantisme de tout bord, est encore malheureusement d'actualité. Nous avons cherché et rassemblé  des écrits pour dire la liberté et la laïcité au coeur de notre République. 

L'Humanisme en jeu 

Au XVIème siècle, les humanistes espèrent au lendemain de la Renaissance. 

Ils pensent une philosophie nouvelle qui place l'homme et les valeurs humaines au-dessus de toutes les autres valeurs.

Ils rêvent d'un monde meilleur qui semble accessible, ils s'émerveillent de leurs découvertes : Guttemberg invente l'imprimerie, Colomb aborde l'Amérique, Copernic propose un modèle héliocentrique... Les humanistes sont croyants bien sûr mais ils placent l'homme au centre du monde, au coeur des préoccupations. Dieu a, selon eux, créé l’homme grand, libre, et lui a donné l’intelligence pour qu’il puisse lire sa création. L'utopie, ce lieu qui n'existe pas, semble tout à coup à portée de main. 

Les humanistes ont ainsi rêvé de changer l'être humain en homme. 

Mais une crise religieuse va venir déchirer ce tableau... Et ce rêve plein de sagesse et de raison va basculer dans la noirceur des tueries sans laisser aux hommes le temps de se ressaisir. Parce que l'homme est finalement et avant tout en lutte contre lui-même. 

Lire ou relire

Thomas More, homme politique du XVIème, catholique convaincu et critique de la société de son temps, forge le terme d'utopie en décrivant l'île d'Utopie. Dans la première partie de son livre, More critique les divers systèmes politiques de son époque et analyse les causes de leur échec. Il dénonce la misère, cause des vols, l'expulsion des paysans pour récupérer leurs terres, les guerres incessantes, la corruption généralisée et des rois plus préoccupés par leur propre intérêt que par celui de leur peuple. Selon More, l'argent rend impossible la justice et la prospérité pour tous. De même, la propriété privée est une perversion qui contraint à la misère le plus grand nombre.

Par opposition, l'île d'Utopie décrite dans la seconde partie du livre, ne connaît pas la propriété privée et l'argent n'y existe pas, tout comme l'oisiveté; les citoyens sont astreints au travail manuel six heures par jour et occupent le reste de leur temps à cultiver leur esprit et leur âme, ce qui est présenté comme le seul bonheur véritable. Le prince et les autres dirigeants sont choisis démocratiquement parmi une élite lettrée qui est dispensée de travail pour mieux se consacrer à l'étude. L'agriculture, considérée comme ayant une valeur pédagogique, est la base économique de cette société toute entière régit par la vertu et la raison. Les lois de la cité sont peu nombreuses et justes. L'adultère y est puni d'esclavage qui n'est d'ailleurs pas héréditaire, au contraire des conceptions de Platon et d'Aristote. L'Etat contrôle les mariages et les divorces; les malades incurables sont invités à se suicider pour ne pas rester à la charge de la collectivité. Les guerres ne sont légitimes que pour préserver la paix et une grande tolérance règne en matière de religion afin de garantir la paix sociale. Cette religion se veut naturelle et se fonde sur la raison. Ainsi, au nom de la justice sociale, More renonce à la liberté des moeurs pour y substituer une vie entièrement normalisée et codifiée. Toutefois, il insistera sur le côté irréaliste de sa cité.

Poète politique et religieux, d'Aubigné écrit en 1616 Les Tragiques. Il y raconte le spectacle tragique qui est celui du monde. 

Il évoque des temps obscurs où : 

« Dans le sang qui du meurtre à tas regorgera,
Et dedans le canal de la tuerie extrême
Les chiens se gorgeront du sang de leur chef même » 

1659. Pour ne pas subir le même sort que sa grand-mère, pendue pour sorcellerie, Mary embarque pour le Nouveau Monde avec un groupe de colons puritains. Dans son journal, elle raconte la traversée périlleuse puis l'arrivée en Amérique et l'installation près de Salem. Mary est instruite, elle sait guérir avec les plantes, elle n'a pas peur de se promener seule dans la forêt. Pour toutes ces raisons, elle dérange la communauté.

Alors avec ces auteurs, raisonnons-nous aussi, et avec eux, sans crainte ni faux-semblant, refusons de revenir à ces temps obscurs. 

Les Lumières ne s'éteignent pas

C’est au cours du siècle des Lumières, au XVIIIème, qu’un certain nombres de valeurs (comme la liberté et la tolérance), de principes sont pensés (comme la réflexion fondée sur la Raison ou l'idée de développer l'esprit critique), par des philosophes, des écrivains, des savants qui remettent en question la société de l’ancien régime et posent ainsi les bases politiques, culturelles, sociales de l’Europe d’aujourd’hui.

Les Lumières est un grand mouvement intellectuel qui se diffuse en Europe au XVIIIe siècle; la métaphore des Lumières signifie la volonté qu’ont eu certains philosophes, hommes de science, écrivains, d’éclairer l’esprit de leurs contemporains contre l’obscurantisme religieux, contre l’arbitraire royal, contre l’injustice. Ainsi, ils préconisent la primauté de l’esprit critique et de la Raison afin de promouvoir la tolérance religieuse, une justice plus équilibrée entre les hommes, des gouvernements plus soucieux de la personne humaine.

Lire ou relire

Voltaire est au sommet de sa gloire lorsqu'il publie ce dictionnaire en 1764. Il s'y attaque à son plus grand ennemi, qui porte un seul nom, l' "infâme" qu'il s'agit d'écraser sous toutes ses formes, "la superstition, le fanatisme, l'extravagance et la tyrannie". Il s'appelle aussi, plus concrètement et historiquement, la Bible, avec les religions qui s'en réclament, le grand Livre auquel Voltaire ose opposer son "abominable petit dictionnaire", comme il se plaît à le définir.

Alors, ouvrons cet ouvrage jusqu'à la lettre F et l'article "Fanatisme" et lisons... 

« Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un enthousiaste ; celui qui soutient sa folie par le meurtre est un fanatique. […]

Il n'y a d'autre remède à cette maladie épidémique que l'esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal ; car, dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir, et attendre que l'air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes ; la religion, loin d'être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. […]

Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage ; c'est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l'esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu'ils doivent entendre.

Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?

Ce sont d'ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains. Ils ressemblent à ce Vieux de la Montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu'ils iraient assassiner tous ceux qu'il leur nommerait. Il n'y a eu qu'une seule religion dans le monde qui n'ait pas été souillée par le fanatisme, c'est celle des lettrés de la Chine. Les sectes des philosophes étaient non seulement exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède : car l'effet de la philosophie est de rendre l'âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité. Si notre sainte religion a été si souvent corrompue par cette fureur infernale, c'est à la folie des hommes qu'il faut s'en prendre. […] »

Combien Voltaire savait ! 
Combien Voltaire raisonnait ! 

Il savait parce que le fanatisme est intimement lié à son combat contre l’Infâme, contre l’Obscurantisme, religieux !

Il savait parce qu’en 1764, les guerres de religion que nous venons d'évoquer et qui ont plongé la France dans le sang, la division et la haine ne sont pas si lointaines. 

Il savait que seules les Lumières de l’esprit, les lumières de la réflexion, ces lumières qui ont donné leur nom au siècle dans les Français d’aujourd’hui s’enorgueillissent,  ces lumières qui ont présidé à la Déclaration des Droits de l’Homme, il savait que seules ces Lumières devaient nous guider. 

Et oui, Voltaire encore ! 

Publié en 1763 Le philosophe y stigmatise l’intolérance religieuse et dénonce le fanatisme des juges condamnant à mort le protestant Calas accusé d’avoir assassiné son fils qui, d’après la rumeur publique, voulait se faire catholique. 

Après avoir montré l’absurdité de la condamnation de Jean Calas, Voltaire s’adresse à tous les sectateurs des religions puis aux chrétiens. L’intolérance est contraire à l’enseignement de Moïse et de JC, mais aussi au droit naturel, à la cohésion sociale, à la pratique de la vertu, à la raison. Il en vient à dénoncer les dogmes et les superstitions, responsables des persécutions et leur oppose la religion naturelle d’un « Dieu clément ». le traité culmine alors sur cet appel du chapitre 22 à la tolérance universelle qui doit nous faire regarder tous les hommes comme des « frères ». ne s’adressant plus aux hommes, Voltaire se tourne vers Dieu dans une prière solennelle et émouvante.

À l’heure des vindictes publiques, à l’heure du communautarisme, pourquoi ne pas écouter Voltaire nous dire la nécessité d’établir le paix et le bonheur possible pour les hommes invités à se supporter.

L'absurde au coeur 

Lire ou relire

Dans ce roman célèbre, publié en  Camus raconte à la première personne l'histoire de Meursault, un jeune homme confronté à l’événement tragique de la mort de la mère et n’éprouvant pas les réactions émotionnelles attendues. 

Au milieu du roman Meursault tue un Arabe sur une plage, un homme qui n'est pas son ennemi. La responsabilité ambiguë du narrateur ainsi que sa sincérité et sa simplicité déroutante mettent en cause l'absurdité de la vie en montrant des comportements et un monde dépourvus de sens.

Le temps suspendu et la structure en boucle de la première partie du roman qui se clôt sur l'évocation de la scène qui l'a commencé montre un équilibre défaillant, où le temps se referme sur lui-même. Ceci confère au passage le rôle d'une fermeture en boucle de la première partie, comme si tout ce qui s'était passé entre ces deux moments n'avait pas eu d'importance. Tout revient à la même chose.

Le bruit du revolver installe un avant et un après de la faute « J'ai compris que j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais été heureux ». L'acte de tuer s'inscrit comme une rupture de l'ordre de la nature.

Il commet le meurtre puis tire encore à 4 reprises. Cet acte d'acharnement est accompli avec un sang-froid inquiétant. 

L'absurde, c'est ce qui est contraire à la raison. L'absurde, c'est ce monde qui est le nôtre, qui existe sans nous, et qui parfois résiste à notre compréhension. Absurde est ce meurtre. Camus propose de se révolter face à l'absurde, de le dépasser par des moyens humains, pourquoi pas par des actions collectives... 

Je me révolte donc nous sommes

L'homme révolté, Camus

Matin Brun est un texte très court, onze pages, que vous pouvez trouver en libre accès sur internet. C’est donc une nouvelle mais aussi un apologue puisque derrière l’histoire racontée, le texte propose une réflexion sur la montée du totalitarisme et des extrémismes. Il est écrit par Franck Pavloff en 1998, alors que la Droite a décidé de s’allier au Front National lors des élections régionales. Quatre ans plus tard, Jean-Marie Le Pen et le Front National accèderont même au second tour des élections présidentielles.

Nombreux sont les professeurs qui vont alors proposer la lecture de ce texte, notamment dans les classes de 3ème , car il permet de conduire une réflexion sur la lutte contre le racisme et l’intolérance. Matin Brun raconte en effet la mise en place d’un « état brun » et de « lois brunes », où tout ce qui n’est pas brun est banni, à commencer par les chats… Absurde, me direz vous ? Bien au contraire…

En imaginant ce système absurde totalement intolérant, où il n’est rapidement plus possible de penser et d’agir en dehors du cadre établi, où les journaux sont interdits et où tout peut nous être reproché, l’auteur offre une réflexion tout aussi intéressante que déstabilisante sur ces petites lâchetés qui peuvent conduire à la perte des libertés.

« Par mesure de précaution, on avait pris l’habitude de rajouter brun ou brune à la fin des phrases ou des mots. Au début, demander un pastis brun, ça nous avait fait drôle, puis, après tout, le langage c’est fait pour évoluer… »

Le texte sera traduit dans près de 25 langues, preuve s’il était nécessaire, que la question de la tolérance est universelle.

«  Depuis des mois, je suis pris d’assaut par une question : « pourquoi des jeunes hommes et des jeunes femmes, nés dans mon pays, issus de ma culture , décident-ils de partir dans un pays en guerre, et pour certains de tuer au nom d’un dieu qui est aussi le mien ? »

Cette question violente a pris une dimension nouvelle le soir du 13 novembre 2015. J’ai réalisé la fragilité de nos certitudes, la fragilité de notre monde, les limites de notre raison. Et, surtout, j’ai ressenti l’absence de rencontre, d’échange, entre ces deux mondes qui se font face dorénavant et que j’aurai bien du mal à nommer : « civilisation contre barbarie ? » « raison contre religion ? » « modernité contre archaïsme ? » »

Ainsi parle Rachid Benzine, l’auteur de ce remarquable roman épistolaire dans lequel il construit un échange de lettres entre une fille, partie en Irak pour rejoindre l’homme qu’elle a épousé et son père, musulman pratiquant mais aussi brillant universitaire et philosophe. 

Un échange de lettres qui permet à chacun de présenter son point de vue sans être interrompu mais qui permet surtout de « détricoter patiemment le fil de l’idéologie » qui pourrait tenter et malheureusement détruire certains jeunes, pour reprendre une dernière fois les mots de Rachid Benzine.

Un roman terriblement d’actualité, dont la lecture ne peut laisser insensible, tant l’histoire qu’il raconte est aussi actuelle qu’impossible à imaginer. Quand la fiction est au service de la réalité, c’est le pouvoir de la littérature qui opère. 

Aujourd’hui, l’Infâme a frappé un homme, un père, un enseignant. Il ne s’agit pas seulement de rendre hommage à Samuel Paty, mais aussi de se dresser contre l’Obscurantisme, de dire que la liberté d'expression est une nécessité, un droit chèrement acquis en France, par notre Histoire et dans notre chair, un droit auquel nul ne peut nous faire renoncer et auquel nos enfants ont droit. La notion même de blasphème n'existe pas dans notre République. 

Rappelons-nous qu’on ne tue pas ceux qui ne croient pas comme nous. 

Rappelons-nous que nous sommes les héritiers des Lumières. 

Rappelons-nous que nous sommes la France laïque, indivisible et Une.