Collège
1, 2, 3…
1, 2, 3… Désormais il faudra se lever le matin en se demandant qui sera le prochain.
Quelle que soit la discipline qui est la tienne, la ville où tu enseignes, ton âge et ton héritage, tu vas tendre l’oreille un peu plus et regarder souvent derrière toi. Parce que tu sais qu’en France, depuis longtemps on critique les profs, on les paye peu, tout en leur demandant toujours plus, mais c’est sans doute un autre débat, parce que tu sais surtout qu’en France, depuis peu, mais déjà trop longtemps, on tue des profs pour ce qu’ils disent et pour ce qu’ils représentent : le savoir et la liberté, la bienveillance et le courage.
De Samuel Paty à Dominique Bernard, et on l’oublie trop vite, Agnès Lassalle, il y aura eu trois ans et trois morts injustes. Un palier aussi de franchi, est-ce le dernier ? M. Paty est mort d’enseigner la liberté d’expression, Monsieur Bernard est mort d’avoir enseigné, assassiné par un ancien élève d’un tranquille établissement de province, un jeune garçon au visage lissé, islamiste radicalisé, qui est entré dans son école pour égorger.
1, 2, 3… Désormais il faudra se lever le matin en se demandant qui sera le prochain.
Quel que soit l’âge de tes enfants, qu’ils soient filles ou garçons, sages comme une image ou du genre turbulents, que tu partes travailler ou que tu restes à la maison, tu vas te demander ce qu’il peut bien lui arriver dans son école, non plus seulement ce qu’il va apprendre, mais aussi quel mauvais coup il pourrait prendre, à quelle horreur il va assister, caché sous une table ou avec son téléphone pour tout filmer.
Parce que tu sais qu’en France l’école n’est plus un sanctuaire, pas même une forteresse qu’on pourrait protéger. Cela fait longtemps que tu n’y as pas mis les pieds, à la dernière réunion tu t’es bien ennuyé, tu n’aimes pas trop voir écrit "prof absent" sur l’emploi du temps, mais tu sais que la plupart sont passionnés et patients, motivés et intelligents, et que toi-même, il y en a même quelques-uns que tu n’as pas oubliés. Aujourd’hui tu es obligé de te demander, non plus s’il l’avait mérité mais ce qui se serait passé, s’il ne s’était pas interposé, ce héros-prof de français, pour ralentir la marche macabre de ce jeune garçon au visage lissé, islamiste radicalisé, qui est entré dans son école pour égorger.
1, 2, 3… Désormais il faudra se lever le matin en se demandant qui sera le prochain.
Ce n’est déjà pas toujours facile de se mettre en chemin, direction l’école, la flemme est ta compagne pour ces quelques années, heureusement qu’il y a les amis pour se motiver, des refs et des quatre-couleurs à se partager. Parfois tu préfèrerais ne pas y aller, mais tu sais depuis le confinement que sans elle, elles sont bien trop longues les journées, et puis sur ta copie il y a écrit, en violet ou en turquoise pour ne plus t’agresser, que tu as bien progressé, qu’il faut continuer. Ton prof tu l’aimes bien, et tu le reconnais, cette heure de colle tu l’avais bien méritée, alors tu te dis que si demain il disparaissait, que pour avoir lu un texte ou montré un dessin, pour avoir fait réfléchir tous ces petits malins, on te privait de son regard réconfortant et de ses blagues d'un autre âge, c’est une part de toi que tu perdrais, ton enfance qu’on te volerait et que pour l’instant tu as bien de la chance, de ne pas l’avoir croisé, ce jeune garçon au visage lissé, islamiste radicalisé, qui est entré dans son école pour égorger.
1, 2, 3…
Enseignants, parents et enfants, pour tous les trois, nous appelons à l’union autour du même combat: ne pas avoir peur, ni baisser les bras, se dire que notre école est une chance, la seule qui accueille toutes nos différences et nous permet de lutter contre l’ignorance. Pour que plus jamais un jeune garçon au visage lissé, islamiste radicalisé, imagine ne serait-ce qu’un instant, entrer dans une école pour égorger.
Désormais nous nous lèverons le matin, déterminés plus que jamais à échanger, pour éveiller et protéger.