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Le voyage de Pénélope
Marie Robert, la philosophe qui rend la philosophie sexy, publie un nouvel ouvrage, le voyage de Pénélope.
Sur l'île d'Ithaque, battue par les flots, Pénélope attend.
Elle attend son mari, parti combattre à Troie. Et Pénélope a promis de lui rester fidèle et de l'attendre. Mais le trône est vide et les prétendants affluent ! Ils investissent le palais. Pénélope résiste. Elle attendra les 10 ans de la guerre de Troie et les 10 ans de l'errance d'Ulysse pendant son voyage de retour.
Lasse des sollicitudes des prétendants, Pénélope met au point un stratagème pour leur résister : elle acceptera d'épouser l'un d'eux mais elle doit d'abord terminer de tisser le linceul de son beau-père Laerte; et à l'abri des regards, la nuit elle défait ce qu'elle a fait le jour. Rusée Pénélope, à l'image de son mari.
Crédit @franceTV5Monde
La Pénélope de Marie Robert, bien ancrée dans notre XXIème siècle, a décidé elle de ne plus attendre ! Après une rupture amoureuse, une démission professionnelle, une déprime du fond de son lit et du sable sous les draps, la voilà qui se lève et part... en Grèce, à Itaque justement à la rencontre de son alter ego antique. Et Pénélope va y découvrir la Philosophie.
Le Voyage de Pénélope aux éditions Flammarion, 19€.
Rencontre avec Marie Robert
Crédit photo @Pascal Ito Flammarion
Marie, tu reviens avec un 3ème ouvrage, un peu différent des précédents, puisque c’est un roman. Pourquoi avoir choisi la fiction pour continuer à parler de philosophie ?
Au fond, je crois que c’était une suite logique… Dans mes deux premiers ouvrages, la fiction était déjà présente sous formes d’anecdotes, mais cette fois-ci j’avais envie d’explorer la réflexion à travers des personnages.
Je crois que la manière la plus efficace de s’emparer d’un concept est le récit. La littérature pose des hypothèses. C’est aussi l’objet de la philosophie.
A qui s’adresse ton livre ?
A tous je crois, enfin, j’espère !
A tous ceux qui se questionnent, à tous ceux qui ont dû un jour quitter leur port d’attache, à ceux qui veulent voyager depuis chez eux, aux lycéens désireux de réviser autrement, aux lecteurs de comédie romantiques, à ceux qui ont peur de la philo…etc.
Bref, la philosophie a une prétention d’universalité et Pénélope n’y échappe pas !
Tout commence par un départ, est-ce qu’il n’y a pas toujours un peu de fuite dans ces départs là ?
C’est l’inverse je crois. Pénélope ne fuit pas, elle affronte.
En partant, elle est obligée de dessiner de nouveaux appuis, de saisir ce qui ne va pas, ce qui lui pèse, ce dont elle doit s’affranchir.
Restez statique, c’est une fuite plus grande encore, c’est refuser le mouvement qui nous impose de trouver des solutions.
C’est finalement un peu une situation de crise (Pénélope déprime sec) qui déclenche tout, comme lors de tes ouvrages précédents. A croire que les crises sont finalement inévitables, nécessaires et bénéfiques ?
L’histoire de la pensée et l’histoire de nos vies sont jalonnées de crises. Et je crois que beaucoup d’entre elles nous fondent, elles n’ont rien de négatif, elles sont parfois douloureuses mais c’est aussi l’occasion de se réajuster, la crise engage notre corps et notre esprit, elle nous pousse à faire autrement et parfois, cet « autrement » est mille fois mieux !
Pénélope va vivre un voyage initiatique ; penses-tu que le voyage est nécessaire à toute initiation ?
Je crois surtout qu’il y a de très nombreuses façons de voyager.
Le voyage indique que nous sommes en dehors de nos habitudes. C’est être confronté à des goûts différents, à des paysages différents, à des ambiances étrangères, et observer ce que cela provoque en nous.
Est-ce que la plus grande aventure n’est pas la quête intérieure ?
Sans doute, mais je t’avoue que je préfère les aventures à plusieurs !
La quête intérieure n’est pas que le repli sur soi, c’est aussi en s’ouvrant à l’autre qu’on se découvre.
Est-ce que tu dirais que la philosophie est la grande rencontre de ta vie comme elle l’est pour Pénélope ?
Totalement, c’est un univers infini ! Bien plus qu’une discipline, c’est une manière d’être au monde, qui s’immisce partout, c’est véritablement une manière de vivre. Mais ce qui a encore plus changé ma vie, c’est la possibilité de la transmettre et d’en faire un savoir qui est en perpétuelle évolution.
Il y a quelque chose du Candide de Voltaire dans le voyage de Pénélope …
Une certaine forme de naïveté est sans doute le meilleur tremplin pour observer le monde avec curiosité !
C’est la posture philosophique par excellence. Le « je sais que je ne sais rien » de Socrate suggère cette même idée, ne pas se placer en expert, mais avoir la sagesse de notre ignorance !
Et dirais tu de Pénélope qu’elle est au sens figuré la cousine du Télémaque de Fénelon ?
Disons qu’ils ont en commun ce goût prononcé pour l’aventure et que la perspective de l’apprentissage est un fil conducteur, mais comparé à celle de Télémaque la vie de Pénélope est plus paisible !
Si je te dis que ton roman est un roman « feel good » , ça te va ?
Je ne sais pas exactement à quoi renvoie l’expression, comme je l’écris à un moment dans le livre, j’ai voulu un texte qui soit ni un roman, ni un manuel de philosophie, mais une forme hybride que chacun peut s’approprier. Et s’il fait du bien, c’est encore mieux !
On peine l’a-t-on quittée qu’on a envie de la retrouver. Pénélope pourrait revenir ?
Qui sait ? La pensée n’a pas fini son Odyssée !
Les 5 textes philosophiques que tu emporterais pour un 3ème confinement ?
Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, pour avoir le temps de percevoir son prodigieux apport philosophique.
La divine consolation de Maître Eckhart, pour s’enrouler dans cette phrase sublime : « Aucun malheur n'est sans bonheur, aucune perte n'est que pure perte ».
L’altruisme efficace de Peter Singer, pour construire efficacement le monde qui est là.
Autobiographie ou mes expériences de vérité de Gandhi, pour espérer la paix.
Par-delà bien et mal de Nietzsche, parce qu’il renforce même quand tout s’écroule.