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Interviews

La révolution de Ken Robinson

Sir Ken Robinson est un spécialiste de l'éducation et le chef de file internationalement reconnu de la créativité et de l'innovation. Peu connu encore du grand public en France, il est l'auteur de la TedX conférence la plus vue de l'histoire (47 millions de vues) et du livre L'Elément (Editions Play Bac) sur l'importance de trouver sa voie. 

A l'occasion de la sortie de son nouvel essai, Changez l'Ecole ! (Editions Play Bac), qui propose des solutions révolutionnaires, humaines, créatives pour transformer le système éducatif, nous avons eu la chance de rencontrer Sir Ken Robinson. 

Nous avions préparé quelques questions mais très vite nous avons discuté, à bâtons rompus, autour de l’éducation, relançant parfois la discussion ou l’orientant mais surtout en l’écoutant pour notre plus grand plaisir. 

Quel enseignant a été déterminant pour vous ? 

Quand j’avais autour de 16 ans, à Liverpool, on a commencé à jouer des pièces de théâtre dans mon école. Pendant très longtemps, on nous avait enseigné les pièces simplement par la lecture. Mais un jour, un professeur d’anglais, que nous avions sollicité, a accepté de nous aider à monter une pièce.

Les répétitions avaient lieu le soir, le week end. On a monté 2 pièces d’affilée en 2 ans.

Pour la 3ème année, nous avions décidé de monter « The importance of being earnest » de Oscar Wilde pour avoir la participation des jeunes filles de l’école d’en face ! Une comédie sur l’amour… il nous fallait des jeunes filles ! Nous étions une école de garçons, et cela nous semblait vraiment une bonne idée d’obtenir leur participation à la pièce.

Alors nous voilà, moi et 2 autres, traversant la cour, franchissant le grillage comme Charlie Check Point, et allant discuter avec le professeur de l’école. Et cette dernière dit oui à la délégation étrangère que nous étions ! 

Mais voilà que notre professeur nous dit qu’il n’avait plus le temps de nous aider, qu’il serait cependant là pour nous assister lors des auditions. J’espérais bien sûr obtenir un rôle, parce qu’il y avait des filles dans la distribution et parce que je pensais l'avoir mérité (après tout, j'étais à l'origine du projet). Il devait bien y avoir quelque chose pour moi. Mais lors de l'audition, je voyais tous les rôles partir les uns après les autres ... et rien pour moi!  

Puis notre professeur ajouta : « Comme je ne peux mettre la pièce en scène cette année, j’ai une suggestion à faire… que Ken la dirige. »

Je suis resté stupéfié. Cela ne m’avait jamais effleuré l’esprit ! Le pouvais-je ? Le voulais-je ? Ma première réaction fut que je ne pouvais pas le faire ! J’attendais que les autres membres de la troupe disent que ce n’était pas possible. Mais ils se sont tournés vers moi en me demandant « Acceptes-tu ? »

Si eux croyaient que je pouvais le faire, c’était probablement vrai.  Alors je me suis lancé. J’ai adoré. Ce fut une merveilleuse expérience ; la pièce fut un succès ! Nous continuâmes après avoir quitté le lycée. Tout le monde croyait même que j’en ferais mon métier parce que les pièces que je montais à l’Université recevaient des récompenses et avaient du succès… 

Mais en fait, même si j’aimais le métier lui-même, je n’aimais pas vraiment la vie de metteur en scène. 

Je dis souvent aux enfants quand ils cherchent ce qu’ils veulent faire qu'il faut idéalement aimer ce que vous faites et la culture qui va avec.

Il y a de merveilleux professeurs qui n’aiment pas l’école. Il y a des gens qui aiment les enfants mais ne feraient pas forcément de bons parents.

Beaucoup de ce que je suis aujourd’hui vient de cette expérience. Et ce ne serait pas arrivé, en tout cas pas comme cela, si ce professeur-là n’avait pas vu en moi quelque chose que je n’avais pas vu moi-même et qui était confirmé par mes camarades aussi.

Les grands professeurs font ça. Ils ont cette capacité à repérer chez les enfants ce que d’autres ne voient peut-être pas ni même leurs parents. 

C’est pour cela qu’il est tellement important que parents et professeurs travaillent ensemble, communiquent. Parce qu’ils voient différents aspects d’un même enfant, dans différents contextes (groupes…). Aucun d’entre nous n’est monolithique ; nous avons plusieurs facettes, caractéristiques, personnalités…  qui ressortent différemment  selon les environnements. Parents et professeurs ne doivent pas être étrangers les uns aux autres.

Il faut une relation forte entre eux, bien plus régulière et solide que cette simple réunion annuelle. Et il ne faut pas non plus exagérer dans l’autre sens et souhaiter des parents « hélicoptères *». Il y a un équilibre à trouver ! Je viens d’ailleurs d’écrire un nouveau livre pour les parents qui sortira en 2018 aux Etats-Unis. 

190917_©F.Bulteau_Ken_Robinson_2505

Vous dites qu’une donnée essentielle à l’école est d’avoir un bon prof; mais c’est quoi un bon prof ? 

Il n’y a pas de garantie possible. L’éducation est une entreprise humaine qui repose sur une relation. C’est pour cela que la systématisation de tests standardisés est une aberration puisque cela déshumanise l’éducation.  

Il y a l’enfant, comme individu. A quoi s’intéresse-t-il ? Quel est son caractère ? Son contexte familial ? Sa place dans la fratrie ? … Et puis il y a la discipline elle-même et la 3ème composante est l'enseignant (comment vous vous entendez avec l’enfant, à quel point vous aimez votre matière…).

Dans le cas de mon professeur de français que j’ai tant apprécié, M. Adams, ce qui comptait pour nous, c’était quelque chose en lui : sa confiance en nous, son attitude, son sens de l’humour, son charisme… Il n’avait pas besoin d’être autoritaire ; nous le respections pour ce qu’il était, un francophile, et il nous respectait individuellement.

Je n’avais pas tellement de raison, vivant dans les années 60 à Liverpool d’apprendre le français…. Il aurait pu m’apprendre le grec en fait !

Vous pouvez retrouver ici le souvenir d’école de Ken Robinson à propos de ce professeur de français.  

Pour savoir ce qui est essentiel, il faut savoir ce qu’on peut enlever. Peter Brook a mené cette démarche sur le théâtre. Qu’est-ce qui est essentiel à l’acte théâtral ? La mise en scène ne l’est pas,  le texte, la scène, le théâtre lui-même non plus … Tout ce dont vous avez besoin c’est un acteur dans un espace et quelqu'un qui regarde. L’acteur joue l’action, le théâtre désigne la relation entre le spectateur et l’acteur. Le théâtre est un mot qui désigne une relation… Tout ce qui vient au travers de cette relation est en trop, peut être divertissant, mais n’est en tout cas pas indispensable. 

L’analogie avec l’éducation est pour moi évidente. Le but de l’éducation est d’aider les élèves à apprendre. C’est tout. Et c’est déjà beaucoup. Et il y aurait beaucoup à discuter sur ce qu’on doit y apprendre. Mais le but est bien d’aider les gens à apprendre.

Et la relation au centre de cela est celle entre celui qui apprend et celui qui enseigne. Et la qualité de l’enseignement dépend entièrement de la qualité de cette relation.

Le programme peut être extrêmement évolué, les équipements modernes, les bâtiments très beaux… Si cette relation ne fonctionne pas, alors l’essence même de l’enseignement ne marche pas. C’est là dessus qu’il faut se concentrer.

Les gens font souvent une erreur quand ils pensent à l’éducation. Ils pensent que pour être un bon professeur, vous devez simplement bien connaître votre discipline. Ce n’est pourtant qu’une part de ce que vous devez connaître en tant qu’enseignant.

Il y a des gens brillants, aux connaissances immenses, qui feraient  de piètres enseignants. Regardez ce qu'il se passe à l’université. J’ y ai enseigné pendant plusieurs années ; j’y ai rencontré des universitaires passionnés par leur recherches mais qui n’avaient aucune envie d’enseigner. Enseigner était le prix à payer pour eux pour être à l’université. Pendant très longtemps d’ailleurs à l’université le "comment on enseignait" n’avait pas d’importance. C’est de moins en moins vrai.  

Enseigner c’est donc, d’après moi, un mélange entre :

c’est-à-dire comprendre que l’enseignement est une relation et que chaque élève est différent. Il faut donc que les stratégies d’enseignement puissent être différentes et adaptées à chacun et à chaque type d’enseignement. 

Cela m’agace d’ailleurs prodigieusement quand les gens font la différence entre éducation innovante ou traditionnelle. Faut-il laisser l’enfant apprendre de lui-même ou lui apprendre ? Pourquoi faut-il choisir ? Il y a des choses qu’il faut apprendre, comme les verbes irréguliers….. Cela dépend donc de ce que l’on veut apprendre : la meilleure façon d’apprendre une langue est d’aller vivre dans le pays. Apprendre une langue étrangère dans une classe c’est un peu comme apprendre à nager depuis le bord sans aller dans l’eau. Mais pour connaître la table des éléments périodiques, il faut passer par un apprentissage plus traditionnel.

Un bon professeur a un répertoire de techniques d’enseignement, dépendant du groupe d’élèves, de l’âge de ceux-ci, de l’année et même du jour ou de ce que l’on veut leur faire comprendre. C’est la différence entre savoir quelque chose et savoir comment l’apprendre. Il faut les deux !

 

Il n’y a rien de plus important donc que les professeurs !

Il faudrait donc réformer la formation des enseignants ? 

C'est crucial ! Il faudrait : 

Je me souviens d’un enseignant qui avait passé 40 ans dans le même établissement et qui avait été récompensé plusieurs fois comme le meilleur professeur de l’année. Il avait commencé ce métier parce qu’il avait besoin d’un travail quand il était étudiant. Il pensait n'y rester qu'un an. Or, il n’aurait pas pu rêver meilleure vie ! Quand je lui ai demandé s’il avait été un bon enseignant depuis le départ, il m’a répondu « non ! j’étais très mauvais mais je voulais m’améliorer. Après, il faut travailler ! »

* Parents hélicoptère : Le concept désigne des parents qui volent au-dessus de leurs enfants pour les diriger vers le meilleur avenir possible et volent à leur secours dès qu’un problème se présente. 

 

Nous sommes reparties gonflées à bloc ! Merci à Sir Ken Robinson pour cet échange, et à Emmanuelle Serrero-Després, son éditrice, pour l'avoir rendu possible. 

Retrouvez Ken Robinson dans son TedX 

 

 

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